La cueillette des haricots
Les haricots.
C'était notre distraction de l'été, l'une de nos principales activités.
Notre père ensemençait plusieurs parcelles
en haricots de la variété « mangetout ». Les semis s’étalaient sur
une période de trois semaines environ de façon à échelonner les récoltes jusqu'à la rentrée scolaire de septembre.
Quelques jours après la levée, force était de constater que toutes les
graines n’avaient pas hissé leurs deux cotylédons au-dessus du sol soit parce qu'elles n'avaient pas germé ou que leurs plantules avaient été
dévorées par les oiseaux. Il fallait donc colmater les espaces restés vides dans les rangs.
A l'aide d'une binette, le père traçait de petits sillons aux endroits
dépourvus de plants pour que nous y déposions de nouvelles semences à espaces
réguliers. Ces sillons étaient refermés méticuleusement de la pointe du pied.
Il fallait plus tard biner et rebiner ces haricots pour éliminer les mauvaises
herbes, de chaque côté, au milieu du rang et entre les plants qu'il fallait surtout éviter de
couper ! Si l’incident se produisait, nous nous empressions de dissimuler
notre maladresse en remettant la malheureuse plantule en terre, en sachant
parfaitement que dès le lendemain elle dépérirait. L’engueulade était
ainsi évitée !
On n'utilisait pas d'herbicides à l'époque; tout se faisait à l'huile de coude!
Les haricots poussaient tranquillement et produisaient leurs premières fleurs qui se transformaient
bientôt en fruits. Et un beau jour, l’heure de la récolte sonnait. Je devrais
dire « l’heure des récoltes » car chaque parcelle était visitée à
quatre ou cinq reprises.
La récolte se faisait manuellement. Souvent à genoux pour éviter le mal
de dos, nous poussions un cageot en bois devant nous entre les deux rangs. Il ne
fallait cueillir que les plus gros haricots de façon à préserver les récoltes
futures.
Nous travaillions quelle que soit la météo, encapuchonnés dans des sacs en toile de jute par temps de pluie. Quand il y avait signe d'orage, les moucherons nous dévoraient la tête. Ah! Je m'en souviens encore.
Certains ramasseurs dépouillaient totalement les plants ou les écrasaient si bien qu’à la récolte
suivante, le cueilleur qui héritait de ces lignes dévastées faisait grise mine et médiocre récolte. Ainsi avait-il été décidé
que chacun récupérerait ses propres rangs.
Le contenu des cagettes était vidé dans des sacs qui, une fois bien
tassés, pouvaient peser 34 kg.
La pesée avait lieu en fin de journée. Chacun devait porter ses
sacs, marqués d’un signe distinctif par une plante ou une pierre, à la bascule. Certains cueilleurs
battaient des records. Il faut préciser que ces derniers ne s’étaient pas privés de
chaparder de belles grappes dans le rang du voisin.
Mon père voulait toujours battre des records de productivité. Une année, il nous a fait
passer cinq fois sur une même parcelle pour réaliser le score de 20 tonnes. Malheureusement,
ces derniers haricots étaient si gros, si boursouflés et si tordus que l’usine
les a refusés. Le courtier les a ramenés sur la cour de la ferme. Honteux! Ah, le père ne pouvait pas supporter cet affront!
Qu’à cela ne tienne ! il a exigé que nous les
triions de manière à atteindre malgré tout la barre des 20 tonnes. Ah ! Quand il avait quelque
chose dans la tête, le père… c’était pas ailleurs !
Il avait réalisé son objectif!
Nous n'allions jamais récolter des haricots à l'extérieur. Nous jouions toujours à domicile, si je puis dire. Nous n'avions jamais l'occasion de partager le plaisir de la récolte avec des enfants de notre âge. Ce travail en autarcie me chagrinait un peu.
De nos jours, les agriculteurs sèment des hectares de haricots dont les fruits mûrissent tous en même temps. La récolte s'effectue en un seul passage par de grosses machines appelées cueilleuses.
On voit encore des cueilleurs agenouillés, mais dans leur potager.
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