Mon grand-père
Je me souviens quand mon grand-père m'emmenait à
l'ancienne gare SNCF de Gourin. Il adorait m'expliquer les
manœuvres de la locomotive qui changeait de voie pour accrocher d’autres
wagons, opération dangereuse qui a fait plusieurs victimes. Il me parlait du fonctionnement de la machine à vapeur.
La loco crachait une épaisse fumée et poussait de grands soupirs. J’étais très
impressionné par ce monstre noir, le marc'h du. J'aimais aussi observer le chef de gare, en uniforme, le képi sur la tête. Il agitait son drapeau avant de donner le coup de sifflet qui autorisait le convoi à s'ébranler en faisant retentir lui aussi son coup de sifflet caractéristique.
En rentrant, nous nous arrêtions toujours chez Roger Robert, deux frères
photographes qui avaient leur studio rue de la gare. On les appelait Roger Robert . On allait faire développer ses photos chez Roger Robert. Longtemps, j'ai pensé que Roger Robert était une seule et même personne.
Un dimanche, nous avons même assisté à une course nautique de hors-bords au
plan d’eau de Pontarlen qui, je pense, avait été spécialement aménagé pour
l’occasion. Emile Le Gall, le maire de l'époque avait des idées avant-gardistes.
Nous prenions le car en provenance de Quimper, la SATOS au café de Kernitra. C'était une navette régulière qui circulait matin et soir.
Un jour, j’ai accompagné mon grand-père à un mariage. Après les
cérémonies civiles et religieuses un peu lassantes à mon goût, j'ai été très impressionné par le menu très copieux
du déjeuner. Jamais, je n’avais
partagé pareil festin ! C’était gargantuesque.
Au retour, un petit incident est venu gâcher cette belle journée. Nous
étions installés à l’arrière du car. A côté de nous, un chasseur en tenue kaki,
avait coincé son fusil en appui entre le dossier du siège et la vitre du bus. Dans un virage, l’arme est tombée et
le canon m'a heurté violemment la tête.
Plus de peur que de mal. Mais mon grand-père a pris toutes les précautions :
il a noté les coordonnées du chasseur au dos de la photo de groupe du mariage. Ainsi, en cas de complications, il saurait à qui s'adresser. Heureusement,
il n’y a pas eu de séquelles si ce n'est une petite bosse au front.
Nous nous déplacions parfois à bicyclette. Je me rappelle une
sortie à la chapelle de Saint-Hervé, le jour du pardon. C’était également la
fête des sonneurs et la bénédiction des chevaux. Malgré son grand âge, le pépé appuyait énergiquement sur les pédales.
Parfois, nous marchions tous les deux dans les champs. Un jour, il m’a montré à
quel endroit il avait jeté sa pipe le jour où il avait décidé d'arrêter de
fumer. Il me consolait quand il sentait que j’avais le cœur gros parce que
j’allais le quitter pour rejoindre ma nouvelle famille.
Il chantait toujours des cantiques pour la Madone. Il faisait d'ailleurs office de bedeau un dimanche par mois à la chapelle du quartier de Béver. Il s’intéressait également à la
politique. Je l’entends encore discuter fermement avec son voisin du Marché
Commun, notre Union Européenne actuelle.
C’était mon grand-père. Il était grand et maigre et portait toujours la casquette et un pantalon rayé. Quand il se rasait solennellement le dimanche matin avec son coupe
choux, je n'avais pas le droit de m'en approcher de peur qu'il se blesse.
L'hiver, pour avoir chaud aux pieds dans nos bottes en caoutchouc, nous fabriquions des chaussettes russes. C'étaient des morceaux de toile de jute qui provenaient d'un vieux sac, que nous faisions chauffer au feu de la cheminée et dans lesquels nous enveloppions nos pieds avant de renfiler les bottes.
Sur le bord de l'âtre deux grosses piles noires à moitié fondues par la chaleur des flammes attendaient je ne sais quoi. Elles avaient été mises au rebut depuis que le vieux poste TSF fonctionnait à l'électricité.
Entre nous, ce n'était pas vraiment la complicité car il restait distant et gardait toujours son air sérieux derrière sa petite moustache blanche. Je le respectais autant que je l'aimais. C'était quelqu'un, comme on dit.