lundi 25 février 2019

LE PILHAOUER



Le claquement régulier des sabots ferrés d’un cheval résonne sur la route empierrée qui mène au village. Le bruit s’amplifie, s’accélère. Au sortir du dernier virage, apparaît un petit attelage. Un homme moustachu, coiffé d’une casquette est installé à l’avant de la charrette, les genoux écartés, une pipe courte serrée entre ses dents blanches de romanichel. Il agite machinalement les rênes du postier breton qui trotte gaillardement. Le visiteur pousse  des hue et des dia en caressant la croupe de l’animal de la lanière menaçante de son fouet. Le cheval renâcle, frémit des naseaux avant de s’arrêter au beau milieu de la cour carrée de la ferme.— Ho ! Repos Fleurette. Halte ma biche. Bonjour Madame, bonjour petit bonhomme. Je suis le chiffonnier, celui qu’on appelle  le pilhaouer. Vous n’auriez pas un seau d’eau bien fraîche à offrir à ma Fleurette, s’il vous plaît ? Elle meurt de soif.

Maria lui sourit et, considérant les grands sacs bourrés de chiffons et de fripes qui s’entassent pêle-mêle dans sa carriole aux grandes roues en bois cerclées de fer, elle se dirige vers le puits. Elle y précipite le seau en ferraille par-dessus la margelle du trou noir. Le treuil de bois se dévide rapidement de sa chaîne dans un couinement épouvantable. Maria tourne péniblement la manivelle pour remonter le récipient rempli d’eau fraîche. Son geste régulier s’accompagne de grincements. Des gouttes retombent au fond en émettant des sons cristallins. L’attelage s’est maintenant approché de l’abreuvoir. La jument hennit de plaisir avant de se désaltérer en plongeant ses naseaux tout mous dans l’auge en pierre. Maria puise un  un deuxième qu’elle verse dans l’abreuvoir déjà vide. Fleurette la remercie en martelant sol trois fois du sabot avant droit.

— C’est gentil, Ma p’tite dame. Je vous offrirai un p’tit quelque chose. Vous avez sûrement des « pillous » ?

— Oui, j’ai quelques vieilleries que j’ai mises de côté. On m’avait laissé entendre que vous étiez dans le secteur. Vous avez de la belle vaisselle ?

— Eh oui, ma p’tite dame, je viens vous donner le bonjour tous les ans, déclare-t-il en laissant échapper un petit nuage de fumée de sa bouffarde, J’ai de la porcelaine magnifique, madame, de la véritable porcelaine de Limoges. Regardez les jolis motifs sur ces assiettes ! Des fleurs, des oiseaux, une montagne. Et ces bols, madame, voyez ces écuelles pour la bonne soupe café du matin! Il est pas là le pépé ? Le spécialiste de la bonne soupe-café ?
— Ah, non, il est descendu vers la rivière. Il s’inquiétait du niveau de l’eau  pour les vaches.

--C’est la sécheresse. Mais je vois que votre puits n’est pas encore tari. Bon, revenons à nos chiffons.

Maria ressort aussitôt de son penty chargée de deux sacs volumineux. Le pilhaouer suspend les baluchons l’un après l’autre à son peson et, après un moment de cogitation, annonce :
  ---Vous avez gagné une douzaine d’assiettes et six bols, ma p’tite dame. Par-dessus le marché, je vous mets comme promis une écuelle pour votre père. Ah ! la bonne soupe café du pépé ! Comment il disait déjà? Euh… Du pain, pas trop frais, déchiqueté en petits morceaux, sept ou huit morceaux de sucre, on arrose de café bien chaud,  on laisse tremper, on mélange, on y verse du bon lait bouilli avec sa crème, on tourne avec la cuillère. Et là, on inspire, on renifle la merveilleuse odeur et ON DEGUSTE! c'est bien comme ça qui dit le vieux?
-- Oui, sans doute, répliqua ma tante en souriant.

Allez hue Fleurette! Et voilà l'attelage reparti." A l'année prochaine!"


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