Abécédaire du remembrement (ou du démembrement)
Arbre :
Le printemps vert tendre le réveille dare dare (et dard dard) en lui ouvrant
les yeux, tandis que l’automne mordoré pleure ses feuilles à chaudes larmes.
Habillé puis dévêtu, il rythme les saisons et ajoute des cernes et des rides
aux années qui passent. C’est une espèce en voie de disparition.
Bulldozer:
Monstre préhistorique qui se meut lentement sur des chenilles ; véritable
char d’assaut, à ne pas laisser entre les mains de l’homme faible capable
d’anéantir l’armée des arbres et d’effacer les empreintes de plaisir et de
labeur que nos aïeux croyaient indélébiles.
Champ :
Tu as ton caractère, tes particularités, tes trésors bien gardés dans
l’intimité des haies boisées. Ils vont violer ton intimité.
Désertification :
Exode rural vers la capitale et les USA, tu vas vider nos campagnes et encore t’accroître
avec la modernisation de l’agriculture. Mais ceux que tu expatries ont-ils dans
leur ville-lumière le visage radieux qu’ils arborent quand ils reviennent
passer quelques jours de vacances au pays natal.
Ecosystème :
Le talus, la mare, les haies, le vieux mur, le landier, la tourbière, autant de
milieux vivants où faune et flore se régulent, sont voués à la disparition, balayés
par la lame assassine.
Fossé :
Celui qui sépare les classes sociales s’élargit inexorablement. Celui que
creuse le remembrement brouille les paysans autrefois amis. L’un comme l’autre
draine ; l’un et l’autre séparent…
Garenne :
Que tu sois lapin ou pré, ton existence est menacée…
Haie :
Profite bien du moment présent, jolie haie bucolique… Bientôt, ils te
conjugueront au passé et diront « était ».
Impact :
Ils sont tellement nombreux que je laisse à la nature le soin de les énumérer.
Journal :
C’était autrefois la surface de terre qu’un cultivateur pouvait charruer dans la
journée. C’est à croire que les Bretons du Nord étaient plus courageux que ceux
du Sud. (Le journal variait de 48 ares à 44 ares).
Kaléidoscope :
Je me rappelle ma joie, le jour où, enfin, comme tous les copains d’école, je
parvins à gagner mon kaléidoscope en achetant des mistrals gagnants dans une
épicerie du bourg. Ce petit appareil équipé de miroirs à facettes m’en faisait
voir de toutes les formes et de toutes les couleurs ! Rien de tel pour
refaire le monde !
Lune : J’ai
toujours été fascinée par l’astre de la nuit. Toute petite, j’y distinguais une
tête avec des yeux, un nez et une bouche. Puis, il y eut les éclipses que mon
grand-père m’apprit à observer, ainsi que les différentes phases
lunaires ; la nuance entre lune montante et lune croissante ; les
premiers pas de l’homme dans la mer de la tranquillité… Maintenant, c’est
encore elle qui détermine les travaux du jardin et les prévisions
météorologiques. Messieurs les techniciens, vous ne me la ferez pas gober en
plein jour…
Machines : De
plus en plus modernes et encombrantes, elles pourront facilement circuler d’une
parcelle à l’autre et leur travail sera facilité par le remembrement.
Nature:
Chassez le naturel ; il revient au galop.
Oiseaux:
Ne me dites pas qu’il n’y aura bientôt plus que des oiseaux rares !
Primevères
laiteuses et tendrement parfumées vous fleurissiez les talus au moment où les arbres
déployaient leurs toutes premières feuilles, comme je vous ai humées et
adorées ! Maintenant vous ne vous épanouissez plus ; les herbicides
et le débroussaillage mécanique vous ont hélas exterminées…
Querelles : Oh !
Querelles de voisinage et vieilles rancunes du passé, vous voilà réveillées…
Conflits sévères et parfois dramatiques ou disputes évoluant en mutisme…
Remembrement : également
appelé aménagement foncier. Je me souviens de ce massacre bocager et de la
désolation du paysage après le passage des bulldozers ! Plus un arbre,
plus un talus ! Adieu chemins creux ! Je crois que la nature ne s’en
remettra jamais… Moi non plus !
Solitude : Tu
guettes le cultivateur…
Talus : Obstacles
désordonnés et échevelés d’aubépines et de houx hirsutes, les techniciens
agronomes ont feint d’ignorer vos vertus.
Uniformité : L’ennui
un jour naquit de l’uniformité.
Vent :
Plus rien ne l’arrête. Bientôt, il décornera les bœufs.
Water-closet :
Comment satisfaire maintenant ses besoins à l’abri des regards indiscrets ?
Xylophène : Dans
le but d’éviter les déperditions de chaleur, le maire avait décidé de faire
installer un double parquet dans ma classe. Ce travail fut exécuté en un
weekend. La semaine suivante, mes élèves furent d’un calme mémorable… Certains
s’endormaient même sur leur pupitre, anesthésiés par les vapeurs du traitement
du bois ! Ah ! Si nous
pouvions aussi anesthésier les technocrates qui réfléchissent de trop !
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