lundi 25 février 2019


Abécédaire du remembrement (ou du démembrement)


 Abécédaire que j'avais écrit au moment où je travaillais sur mon roman "Les roses ont des épines ". Cet abécédaire ne figure pas dans mon livre. Alors, je vous le propose... 

Arbre : Le printemps vert tendre le réveille dare dare (et dard dard) en lui ouvrant les yeux, tandis que l’automne mordoré pleure ses feuilles à chaudes larmes. Habillé puis dévêtu, il rythme les saisons et ajoute des cernes et des rides aux années qui passent. C’est une espèce en voie de disparition.

Bulldozer: Monstre préhistorique qui se meut lentement sur des chenilles ; véritable char d’assaut, à ne pas laisser entre les mains de l’homme faible capable d’anéantir l’armée des arbres et d’effacer les empreintes de plaisir et de labeur que nos aïeux croyaient indélébiles.

Champ : Tu as ton caractère, tes particularités, tes trésors bien gardés dans l’intimité des haies boisées. Ils vont violer ton intimité.

Désertification : Exode rural vers la capitale et les USA, tu vas vider nos campagnes et encore t’accroître avec la modernisation de l’agriculture. Mais ceux que tu expatries ont-ils dans leur ville-lumière le visage radieux qu’ils arborent quand ils reviennent passer quelques jours de vacances au pays natal.

Ecosystème : Le talus, la mare, les haies, le vieux mur, le landier, la tourbière, autant de milieux vivants où faune et flore se régulent, sont voués à la disparition, balayés par la lame assassine.

Fossé : Celui qui sépare les classes sociales s’élargit inexorablement. Celui que creuse le remembrement brouille les paysans autrefois amis. L’un comme l’autre draine ; l’un et l’autre séparent…

Garenne : Que tu sois lapin ou pré, ton existence est menacée…

Haie : Profite bien du moment présent, jolie haie bucolique… Bientôt, ils te conjugueront au passé et diront « était ».

Impact : Ils sont tellement nombreux que je laisse à la nature le soin de les énumérer.

Journal : C’était autrefois la surface de terre qu’un cultivateur pouvait charruer dans la journée. C’est à croire que les Bretons du Nord étaient plus courageux que ceux du Sud. (Le journal variait de 48 ares à 44 ares).

Kaléidoscope : Je me rappelle ma joie, le jour où, enfin, comme tous les copains d’école, je parvins à gagner mon kaléidoscope en achetant des mistrals gagnants dans une épicerie du bourg. Ce petit appareil équipé de miroirs à facettes m’en faisait voir de toutes les formes et de toutes les couleurs ! Rien de tel pour refaire le monde !

Lune : J’ai toujours été fascinée par l’astre de la nuit. Toute petite, j’y distinguais une tête avec des yeux, un nez et une bouche. Puis, il y eut les éclipses que mon grand-père m’apprit à observer, ainsi que les différentes phases lunaires ; la nuance entre lune montante et lune croissante ; les premiers pas de l’homme dans la mer de la tranquillité… Maintenant, c’est encore elle qui détermine les travaux du jardin et les prévisions météorologiques. Messieurs les techniciens, vous ne me la ferez pas gober en plein jour…

Machines : De plus en plus modernes et encombrantes, elles pourront facilement circuler d’une parcelle à l’autre et leur travail sera facilité par le remembrement.

Nature: Chassez le naturel ; il revient au galop.

Oiseaux: Ne me dites pas qu’il n’y aura bientôt plus que des oiseaux rares !

Primevères laiteuses et tendrement parfumées vous fleurissiez les talus au moment où les arbres déployaient leurs toutes premières feuilles, comme je vous ai humées et adorées ! Maintenant vous ne vous épanouissez plus ; les herbicides et le débroussaillage mécanique vous ont hélas exterminées…

Querelles : Oh ! Querelles de voisinage et vieilles rancunes du passé, vous voilà réveillées… Conflits sévères et parfois dramatiques ou disputes évoluant en mutisme…

Remembrement : également appelé aménagement foncier. Je me souviens de ce massacre bocager et de la désolation du paysage après le passage des bulldozers ! Plus un arbre, plus un talus ! Adieu chemins creux ! Je crois que la nature ne s’en remettra jamais… Moi non plus !

Solitude : Tu guettes le cultivateur…

Talus : Obstacles désordonnés et échevelés d’aubépines et de houx hirsutes, les techniciens agronomes ont feint d’ignorer vos vertus.

Uniformité : L’ennui un jour naquit de l’uniformité.

Vent : Plus rien ne l’arrête. Bientôt, il décornera les bœufs.

Water-closet : Comment satisfaire maintenant ses besoins à l’abri des regards indiscrets ?

Xylophène : Dans le but d’éviter les déperditions de chaleur, le maire avait décidé de faire installer un double parquet dans ma classe. Ce travail fut exécuté en un weekend. La semaine suivante, mes élèves furent d’un calme mémorable… Certains s’endormaient même sur leur pupitre, anesthésiés par les vapeurs du traitement du bois !  Ah ! Si nous pouvions aussi anesthésier les technocrates qui réfléchissent de trop !

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